The Belgians Remember Them ligne

Cénotaphe de Londres: L'Hommage de la Belgique



Le débarquement

Le 6 juin 1944, nous apprenons que les Alliés débarquent. Nous assistons de loin au bombardement de Saint-Lô, qui n’est qu’à 6 km de Torigni-Saint-Amand, à vol d’oiseau. La vision est dantesque. Nous ressentons le souffle des explosions jusqu’ici. Et le vent d’ouest nous amène ce qui reste des archives de l’administration municipale de la ville qui brûlent encore. Nous avions déjà reçu par les airs les tracts que les avions alliés avaient jetés sur Saint-Lô, qui demandaient aux habitants de quitter immédiatement les lieux qui allaient être pris sous le feu des bombes. Par après, nous avons compris pourquoi tant de Saint-Lois ont péri sous les bombes, ils n’avaient pas eu connaissance de l’imminence de l’attaque. Le soir, es Américains ont mis le pied sur la côte, mais ne sont pas très avancés. Les Allemands, quant à eux, sont nerveux et ont installés des batteries de DCA dans les haies du bocage, se rendant invisibles depuis les airs. Ils ont alors tout le loisir de canarder les avions qui passent au dessus d’eux. Dès le 6 juin, et jusqu’à ce que la zone où nous habitons, c'est-à-dire une dizaine de kilomètres en dessous de Saint-Lô, tous les jours, à 18h00, nous voyons un petit avion de reconnaissance qui survole les parages pendant que les canons alliés envoient des tonnes de projectiles. En fait, on nous dit qu’il dirige depuis les airs le tir des pièces alliées. Ce qui est curieux, c’est qu’aucun tir allemand n’atteint l’appareil d’observation, malgré qu’il vole assez bas et qu’il y a quand-même pas mal de pièces de la Flak positionnées dans le secteur.

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Le tract lancé sur St-Lô, que les habitants ne reçurent jamais à cause du vent d’ouest

Le 7 juin, Torigni-sur-Vire connait le premier bombardement allié. Le lâcher de bombes se fait en « plateau », qui, à l’inverse du bombardement en piqué, couvre une zone moins précise, mais plus étendue. Il s’agit, pour les Alliés, de détruire le croisement des routes Céaux-Granville et St-Lô-Vire. Toute la nuit, on a entendu des avions lâchant leur bombes dans les environs, le sol n’a pas arrêté de trembler. Les habitants du villages se sont réfugiés dans des abris de fortune. Il y avait, entre autres une cave qui a abrité plusieurs villageois, dont M. et Mme Massé, huissier de justice. L’épouse confie à son mari qu’elle ne se sent pas en sécurité dans cet endroit. Ils décident de retourner chez eux. A peine sont-ils dans leur maison qu’une énorme explosion retentit, les vitres sont balayées par la déflagration. Le projectile est tombé sur l’abri que nos deux Torignais venaient de quitter. S’il ont la vie sauve, il n’en est pas de même pour ceux qui sont restés dans l’abri. Il y a des morts et des blessés, c’est un véritable carnage.

Les dégâts importants sont observés à la gare, un train blindé allemand est presque détruit. Une ambulance allemande qui passe près de la maison reçoit une rafale de mitrailleuse d’un avion, elle explose complètement. En fait, elle transportait des munitions, et non des blessés. Nous décidons de nous retirer sur la Bardelière, petit hameau de quelques maisons, chez Désiré Lemaître, où on couche sur la paille. Jusqu’à la fin du mois de juin, nous attendons la suite des événements, les Alliés n’ayant pas beaucoup progressé dans notre direction. Les Allemands occupent toujours la zone de Torigni, où ils ont réquisitionné les habitations et d’où ils tentent de se positionner en attendant une avancée alliée.

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La rue Dame-Denise, à Saint-Lô, après le bombardement : les Allemands y avaient établi la Kommandantur. Les habitants de Saint-Lô payeront un très lourd tribut...

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Ce sera également le cas de Torigni et de sa région.

Le 30 juin, nous apprenons que les Anglo-américains sont entrés à Cherbourg, dont ils contrôlent la ville. Le lendemain, Saint-Amand reçoit les premières bombes. Tous les jours, des obus tombent sur la région et les hameaux des alentours sont également atteints. Le dimanche 23 juillet, au soir, Lafosse et Pierre Guichard, qui avaient « repris » aux Allemands une vache, sont arrêtés et enfermés dans un bâtiment voisin de la ferme où nous nous sommes réfugiés. Ils y restent quelques jours et pendant ce temps, les voisins leur passent de la nourriture en cachette, qu’ils dissimulent dans la paille. Le lendemain matin, les Allemands nous ordonnent d’évacuer les lieux avant 7 heures, mardi. Le beurre et le lard sont distribués gratuitement aux personnes présentes, au moins, cela n’ira pas aux Allemands. On tue aussi deux cochons et un veau dont la viande est également distribuée gratuitement. Mardi matin, les Allemands reviennent pour prendre possession des lieux. Nous demandons au commandant de sursoir notre départ d’un jour ou deux, histoire de nous organiser. Il consent à nous laisser jusqu’au mercredi matin.

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Partout, en Normandie, les traces des combats...

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Nous sommes libérés!

Le 26 à 11h, nous quittons la Bardelière accompagnés des familles Lafosse, Lemaitre, Légion, Lavallée et Jeanne. Nous faisons une halte à Saint-Amand, chez nous où nous nous restaurons avant de continuer sur Vire, en passant par les Montagnes, où nous passons la nuit chez Madame Hervieu. Au matin, je pars avec deux amis rechercher le restant des bagages laissés à la Bardelière. Nous sommes à vélo. Les Boches nous voient de loin et nous ordonnent de nous arrêter. D’assez loin, ils nous rejoignent pour nous confisquer les bicyclettes. Si nous avions su, nous aurions détalé avant, ils n’auraient pas pu nous les prendre. Mais nous n’avons plus de vélo, et nous ramènerons finalement les bagages dans des brouettes. Les familles qui nous avaient accompagnés dans notre exode à la Bardelière décident de continuer vers Saint-Louet, tandis que notre famille part au moulin de Pleines-Œuvres, à Pont-Farcy, que nous atteignons le lendemain. L’avancée alliée s’approche, le 28 juillet au soir, Tessy-sur-Vire, Coutances, Margueray sont prises. Les avions continuent à bombarder, ils visent surtout les ponts afin d’empêcher les boches de se replier. La journée du 30 est très mouvementée, les attaques sont fréquentes, jetant les réfugiés sur les routes. Le pont de Pont-Farcy est détruit. On nous dit que les Anglais ne sont qu’à 1800 m de Saint-Amand. Le 31 juillet, le ballet incessant des réfugiés continue, sous la menace continue des bombardements. Un obus est tombé à 200 m du moulin. Grandville et Avranches sont tombés. Les pièces allemandes encore positionnées aux Pleines-Œuvres, où nous nous trouvons commencent à tirer. Durant notre séjour dans ce havre de paix relatif, mon père reçut des membres de la Résistance qui vinrent avec un poste à galène, ce qui nous permit d’avoir des informations plus précises quant à l’avancée des Alliés. Il faut dire que pendant les semaines de combats incessants que nous vécûmes, suite au débarquement, il était impossible de se faire une idée sur la situation. Nous avions pris l’habitude d’attendre le tombereau attelé que les Allemands avaient réquisitionné à un fermier pour livrer leur pain. En suivant le charroi en silence et sans se faire voir, nous arrivions à chiper quelques pains à chaque fois, que nous ramenions, bien-sûr, à la maison!

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Le moulin de Pleines-Oeuvre, à l'époque

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Le moulin, en 2014, 70 ans après les faits

Mardi 2 août, nous partons du moulin vers 7 heures. On nous dit que Torigni-sur-Vire est libéré. Nous avons déjà fait 3 km quand nous décidons de revenir sur nos pas. D’importants mouvements allemands s’opèrent, entrecroisés du flot des réfugiés. A 18 h, les Allemands nous font sortir du moulin, ils veulent faire sauter la passerelle et la pierrée du moulin. Nous passons la nuit à la belle étoile, sous un ballet d’obus et de bombes qui nous passent sur la tête. Il est impossible de fermer l’œil. Au matin, la passerelle et la pierrée sont minés. A ce moment, les Anglais sont à 2 km de Vire. L’artillerie américaine nous bombarde. Finalement, le pont-passerelle et la pierrée du moulin de Pleines-Œuvres ne sautera pas. Le 3 août, trois jeeps américaines arrivent au moulin sur le coup de 13 h. Nous sommes enfin libérés, notre joie est immense. Nous libérateurs continuent d’avancer, en passant, ils nous offrent des cigarettes, des bonbons, bref, quelle belle journée ! Nous apprenons aussi que Torigni a encore été bombardée le 1er août, au lendemain de sa libération. Un obus allemand est tombé dans la cour de la ferme Bigne et tué 23 personnes et en a blessé une vingtaine d'autres. La nuit du 3 au 4, les Américains pilonnent les positions allemandes qui tentent de riposter. la journée du 4, le flot des troupes américaines passent toujours devant le moulin. Je retrouve mon vélo qui m’avait été volé par les Allemands, il y a plus d’une semaine. Les Alliés arrivent le 5 août au moulin avec du gros matériel : ils vont jeter un autre pont sur la rivière au moulin. Il sera destiné à supporter le lourd charroi des troupes qui vont bientôt commencer à aller vers le sud, vers Avranches et Carentan. Nous assistons aux opérations, émerveillés par leur savoir-faire.

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Le pont Bailey, à Tessy-sur-Vire, non loin du moulin de Pont-Farci

Un char armé, d’une pelle, nivelle le terrain tandis qu’un élément de pont préfabriqué appelé « Pont Bailey » est amené par camions, en pièces détachées. Le pont Bailey est un pont préfabriqué portatif, conçu primitivement pour un usage militaire et permettant une portée maximale de 60 m. Il n'exige ni outillage spécial ni équipement lourd pour sa construction, ses éléments sont assez petits pour être transportés par camion et le pont est assez solide pour autoriser le passage des chars. On le considère comme un modèle de génie militaire. Une fois le pont installé, les choses se déroulent rapidement : des chars pelleteur commencent à tracer une route à travers les prairies, ôtant arbres et haies, permettant ainsi aux colonnes d’avancer vers les objectifs suivants. Il n’aura fallu que quelques heures pour que la voie soit ouverte aux jeeps, tanks, camions et troupes à pied. Le 6 août, nous quittons finalement le moulin de Pleines-Œuvres, où nous avons quand-même passé une semaine en sécurité relative. Nous rejoignons Saint-Amand, notre maison ! Le retour se passe sans encombre jusque Poteau, où la route est bloquée. Après quelques heures d’attente, un camion américain nous prend en charge et nous ramène à Saint-Amand, distant de 10 km. Nous sommes enfin chez nous, libérés !

Les Alliés ont fini par avoir raison des Allemands qui les bloquaient, tant du côté de Caen, que de Cherbourg. Pris en étau, ils sont obligé de se replier vers le Nord. Ils seront pourchassés jusque par-delà le Rhin, mais il faudra encore presque un an pour anéantir le Nazisme. En attendant, de toutes parts, nous voyons des unités britanniques, canadiennes, américaines déboucher des chemins et des routes de Normandie, à pied, en jeep, en camion, avec des chars, des engins de toutes sortes, bref, une véritable pagaille! Mais les choses semblent quand même se faire dans un ordre relatif. Et cela parmi les épaves de véhicules, tant alliés qu’allemands. Parmi ce capharnaüm, du côté de ce qui fut la « poche de Falaise », j’aperçois un char allemand, ou plutôt ce qu’il en reste qui comporte une inscription écrite à la hâte: « Le Tigre dompté ». Il s’agit d’un Panzer qui a reçu un obus juste dans l’orifice de son canon. Le long tube est ouvert comme la corolle d’une fleur!

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Plaque apposée sur le mur de la ferme Bigne, à la mémoire des victimes du 1er août

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